vendredi 2 décembre 2011

L'Ouverture de Don Giovanni


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Les deux faces de l'opéra

ou

d'un "Ré" à l'autre
°


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La détermination du Commandeur

(Andante en Ré mineur)

Un accord fortissimo en Ré mineur retentit une première fois, suivi d'un accord de dominante renversé; puis résonne une seconde fois. Quatre mesures: deux grandes énonciations, dont chacune retentit longuement avec fracas alors qu'en sa seconde elle est comme conclue douloureusement. Une volonté déterminée mais consonante -renvoyant à celle (dissonante) qui illustre l'entrée de la Statue du Commandeur à l'ultime repas de Don Giovanni. Suit soudain, de façon imprévue, un quatuor piano au rythme trochaïque (temps long suivi d'un temps court) qui a quelque nouvelle obstination, un étirement languissant dans une lumière blafarde, sur quoi descend, d'un octave, la suite majestueuse des toniques et des dominantes exprimées par les bois puis par les cuivres -rythme et schéma qui soutiendront le premier appel de la Statue arrivant au dit repas. Bientôt les cordes développent une série de modulations, toujours pour le moins inquiétantes. Pierre Jean Jouve parle de "gémissement", de "pleur enfantin de la créature perdue dans le monde de la douleur", "de larmes tombant sur l'orchestre." Nous, moins psychologiquement, voyons là une sorte de dilatation angoissante de l'espace, suivie d'une suite de balancement de syncopes, et, plus loin, de deux accords terminaux, massifs, tranchants, qui sont bien évidemment les rappels des coups du Destin entendus lors des accords primordiaux. Quelques notes de passage au climat tout beethovénien: une préfiguration de certaine couleur à la fois mystique et trouble de certain quatuor, et ce sont ces mouvements ascendants-descendants si "caractéristiques" de l'oeuvre, qui enflent d'un ton ou d'un demi-ton puis chutent sur des harmonies changeantes, - nous faisant paradoxalement penser à quelque mouvement giratoire creusant avec force un abîme en forme d'entonnoir... Puis tout redevient grave et l'on retrouve le climat beethovénien déjà mentionné. Ce faisant, tout a atteint une dimension tragique: celle qui renvoie aux flammes et au creusement de l'Enfer où Don Giovanni sera précipité à la fin...

La détermination de Don Giovanni

(Molto allegro en Ré Majeur)

Cependant voilà que tout change, voilà qu'une autre version de l'aventure nous est donnée à entendre. Quatre mesures de transition et c'est soudain une obstination d'un autre ordre que précédemment, tout à fait étrangère au scénario évoqué de châtiment et de deuil. C'est un molto allegro en Ré Majeur et le drame assurément devient giocoso. Deux sujets: un premier, en Ré Majeur, dont Hermann Albert dit qu'il est "l'une des trouvailles les plus géniales de Mozart" et Jean-Victor Hocquard "qu'aucune de ses articulations ne correspond à une barre de musique"; un second, en La Majeur, très dense, cassé en son milieu: un premier hémistiche violent, emporté, puis un second, plus détendu. On peut certes leur trouver des équivalents d'ordre psychologique, la musique étant ce qu'il y a de plus ambivalent et son interprétation psychologique ce qu'il y a de plus incertain. Nous noterons seulement que ce sont là des oppositions dont Mozart joue superbement, tant sur le plan harmonique que rythmique, et qui créent déjà, à elles seules, un dynamisme inouï. Que dire alors du jeu combiné des deux sujets, d'un caractère sans doute "rigoureux", mais d'un emportement qui nous laisse le souffle court. Vif, allègre, ayant la force d'un ouragan, il traduit bien évidemment le désir impétueux de Don Giovanni et celui qu'il nous communique par empathie. Aussi volons-nous avec lui d'objet en objet, d'elle en elle, sans rencontrer d'obstacle (ou du moins sans les voir ou sans trouver de peine à les réduire) et donc sans éprouver de crainte; avec une innocence totale, une cruauté enfantine, une certitude de soi et de ce qu'on avive dans l'objet vite remplacé -et ce, par la grâce que nous communique la musique: celle d'une totale identification au désir de Don Giovanni. Transport qui dure jusqu'à ce "soupir" d'une fin "lentement amenée", "prodigieusement douce et émue".

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