Le livret de La Clémence de Titus
Je distinguerai trois grands constituants:
la personne de Titus
la Nature du complot qui le menace et sera suivi de clémence, en référence à Sénèque et à Corneille
Enfin la crise de l'Histoire romaine de 68-69, où Métastase puise les causes du dit complot.
Le premier constituant, c'est donc Titus. Il est évident que Métastase a lu Suétone et connaît bien l'empereur. Il connaît sa vie agitée, puis son accès à la sagesse, qui a déclenché l'amour que lui porte tout un peuple.
Il connaît aussi les Titus littéraires: ceux de Corneille et Racine. Et il a une idée nette du sien. D'abord, il le veut parfaitement sage et exemplaire, tel un dieu et dépassant presque en cela la condition humaine.
Aussi, élimine-t-il du personnage l'aspect inquiet, tourmenté, voire romantique qu'à développé Corneille, et s'il garde, certes, le bénéfice de la courageuse séparation du prince d'avec Bérénice, il élimine cet épisode douloureux de son texte, se contentant de l'évoquer.
Ensuite, fidèle à son goût pour les monarques légitimes et solidement assis sur leurs trônes, il veut un Titus incontesté. Métastase supprime l'éventualité d'un complot familial venant de Domitien son frère et de Domitie, tellement que ceux-ci (comme dans Racine) ne sont même pas nommés. Il reste donc, dans l'espace résultant de ces grandes évaluations, un Titus, celui de Métastase, calme, positif, ayant accédé à la sagesse, inaugurant une politique de bonté et de générosité et voulant être un père pour tous ses sujets, au point de susciter de leur part des sentiments dont la force dépasse même celle des relations privées.
Ainsi ces derniers peuvent s'avérer capables d'offrir leurs biens ou de sacrifier leur vie pour la bonne conservation de la santé physique ou morale de leur souverain, constituant avec lui comme un grand corps, dont il serait l'âme et eux les organes.
Avec ce Titus, on voit l'application sticto sensu de la politique dont Sénèque aurait souhaité voir Néron capable.
Le second constituant est l'idée d'un complot visant Titus. suivi de clémence de sa part. Mais les actes d'un être sage, en effet, comme l'assurance du renvoi de Bérénice ou le transfert des fonds du tribut des provinces aux victimes de l'éruption du Vésuve, ne suffisent pas à faire un opéra...
Pour écrire le livret, Métastase s'inspire du scénario de Sénèque et de la tragédie de Corneille. Ainsi, Titus est victime, comme Auguste d'une rébellion.
C'est là une grande nouveauté, une extrapolation historique que l'art se permet. Et, comme Auguste, Titus fait preuve de clémence et, toujours comme lui, non sans admonestation.
Le troisième constituant, c'est la crise romaine de 68-69. C'est là, en effet, que Métastase puise le ressort de son drame. En fait, tout vient, pour Métastase, de ce que Titus, après sa séparation douloureuse d'avec Bérénice, s'empresse de vouloir se remarier pour le bien de l'empire; et l'opéra, est, d'une certaine façon, la suite de ses tentatives manquées pour y parvenir. Ou, si l'on veut, le récit, non d'amour contrariées (vu que Titus est revenu de toute passion) mais de mariages contrariés. Il cherche d'abord, à obtenir la main de Servilia, soeur de son ami Sextus, qu'il veut, par ce mariage, rapprocher un peu plus de lui. (Où l'on voit que la recherche de l'amitié a autant d'importance pour lui que celle du mariage!) Mais voilà: Servilia aime Annius, ami de Sextus. Aussi, bien qu'en sujette dévouée, cette dernière offre sa main, par devoir, à son souverain, elle n'en n'a pas moins le courage de l'informer de sa situation amoureuse et de lui avouer que, malgré elle, son coeur ne sera jamais vraiment libre.
Titus, empli de cette sagesse qu'il vient d'atteindre, se retire - heureux même d'apprécier, en cette occasion, la confiance que lui porte un de ses sujets, au travers de cette marque de sincérité envers lui. Il se rabat alors sur Vitellia. Mais, avec ce personnage, les choses deviennent plus dramatiques. Celle-ci, en fait, la fille de Vitellius, lequel, au coeur de la crise 68-69, déclenchée par la mort de Néron, a été le troisième empereur après Galba et Othon.
Soutenu par les légions de Germanie Inférieure et Supérieure, acclamé par elles comme empereur, il traite d'abord d'égal à égal avec Othon, installé à Rome, et soutenu, lui, par les légions de Danube, d'Afrique et d'Orient. Le choc des armées des deux camps donne la vistoire à Vitellius et, Othon se suicidant, le vainqueur fait son entrée en juillet 69 et fonde à son tour une dynastie qui repose sur son fils et sa fille. Mais il est loin de faire l'unanimité au sénat et dans l'armée. Aussi, après des mois de règne, il est bousculé par Vespasien, père de Titus. Et la guerre civile sévissant à Rome d'une part, et les troupes de Vespasien entrant enfin en ville, de l'autre, Vitellius est exécuté.
Mais Vitellia, maintenant dans la force de l'âge, et Titus cherchant à se remarier, prétend à la main de ce dernier. Aussi, le voyant séduit par Bérénice, (reine rejetée, de plus, par l'opinion), elle fomente contre lui un complot -soutenue (selon elle) par ce qui reste du camp des vitelliens.
Elle a, pour ce faire, l'aide de Sextus, amoureux fou d'elle et à qui elle promet son amour sous condition qu'il élimine Titus - un peu comme l'Emilie de Corneille fait avec Cinna. Sextus, lui, est partagé entre son amitié pour Titus et son amour pour Vitellia.
Tout l'opéra est finalement l'histoire de ce complot, d'abord démarré, puis arrêté lorsque Vitellia apprend que Titus a renvoyé Bérénice, puis réactivé, lorsqu'elle apprend qu'elle a été éconduite une seconde fois, croyant alors que la tentative de Titus auprès de Servilia a réussi.
Tout l'opéra est donc, aussi, l'histoire des hauts et des bas de Vitellia, de ses espoirs, de ses craintes, de ses crises.
Bien évidemment le complot échoue, par la défection des insurgés, Métastase ayant appris la leçon chez Corneille. Avec cette différence que chez Corneille, le complot est stoppé avant sa réalisation, alors qu'ici il a lieu, mais échoue à cause des agissements ambiguës d'un des insurgés, Lentulus.
Titus échappe à la mort, découvre, effondré, le complot et, en deux temps ses auteurs: des gens, qui plus est, de son proche entourage! Mais qui, les choses faites, sont sous le choc. Sextus est annihilé et avide de subir le châtiment. Vitellia, indifférente, égoïste, haineuse jusque-là, réalise à la vue du dévouement de Sextus qui s'est laissé arrêter sans la dénoncer (C'est elle qui s'est livrée), que ce dernier l'a aimée finalement plus que lui-même et que l'amour désintéressé existe: ce qui occasionne, chez elle, un grand revirement moral.
C'est ici que se montre la force de caractère de Titus. Mais sans qu'il ait besoin, comme Auguste, d'une personne tierce pour l'aider. Aucune Livie ne vient l'exhorter à surmonter l'épreuve et à pardonner afin d'accroître sa gloire et d'interrompre la violence. C'est en lui qu'il trouve les forces du pardon, même s'il est ardemment sollicité à la clémence par Annius et Servilia.
Ce pardon est une illustration, stricto sensu, de la pensée de Sénèque. Il évite donc, d'une part, la cruauté, mais de l'autre, ne sombre pas dans une plate miséricorde.
C'est ainsi que Titus ne se prive pas de l'admonestation et dit accorder à la souffrance du repentir (que déclare ressentir Sextus), une importance capitale; ce remords, étant à la fois la marque de la peine indispensable à subir et la voix, pour le coupable, d'une amélioration individuelle. Au point que Titus va jusqu'à prononcer ces paroles inouïes, à l'adresse d'un Sextus repentant:
Le vrai repentir / Dont tu es capable / Vaut plus qu'une véritable / Et constante amitié.
Nous sommes en présence d'un texte qui, retouché comme on va le voir, va permettre à Mozart de déployer la force dramatique de son génie.
Orchestrant les thèmes de l'amour et de la politique, il permet une grande diversité de figures narratives et de comportements moraux. Pour les premières ce sont: retournement d'attitude, malentendus, quiproquos, système d'engrenage, réflexes de fuite, coups de théâtre, rebondissement de l'action, résolution finale.
Pour les comportements moraux, se sont: maîtrise de soi (Titus), débordements cruels et hystériques (Vitellia), sincérité (Servilia), abnégation et droiture (Annius), goût de l'ordre public et civisme (Publius, préfet de Titus), remords de conscience et désir d'être puni (Sextus, Vitellia), enfin générosité (Titus): celle de la clémence, qui s'épanouit, telle une fleur merveilleuse, au terme de l'action dramatique.
Le résultat de tout cela, matrimonialement parlant, est plutôt un échec, à l'exception du couple Annius/Servilia.
Titus, bien évidemment, reste seul. Peut-on épouser quelqu'un qui a fomenté contre vous un complot? Il rest seul aussi seul que le Tite de Corneille et le Titus de Racine. L'Histoire nous apprend qu'il est mort sans s'être remarié, mais entouré, comme aucun prince peut-être avant lui, de la reconnaissance populaire.
Quant au couple Sextus/ Vitellia, il est bien compromis. Je vous laisse juge de savoir s'il a ou non un avenir.
(photo malgbern)
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