Ce Titus historique évoqué, voyons à présent ceux de Corneille et de Racine.
C'est Henriette d'Angleterre qui, selon la légende, a suggéré le personnage aux deux grands poètes français et en a fait l'objet d'un concours qui, dit-on, aurait été remporté par Racine.
Le Tite et Bérénice de Corneille est une tragédie compliquée mais admirable. Surprenante même, dans l'oeuvre du dramaturge. elle a, dit-on réveillé son démon de midi et son inspiration en est du coup délicieuse. Tout vient, pour Corneille, d'une décision de Vespasien. Ce dernier a souhaité, lui mort, que son fils Titus épouse Domitie, la fille du fameux Corbulon.
Vespasien sait très bien, en effet, que la bouillante et intrigante Domitie a des prétentions au trône et que, pour les satisfaire, elle est capable de dresser son second fils Domitien (qui en est amoureux), contre son frère Tite.
Ainsi Vespasien veut par là éviter un complot familial. alors, Tite, son père mort, se trouve pris dans une tenaille. D'un côté Bérénice, rentrée inopinément de Judée pour tenter sa chance, de l'autre Domitie, qui aime Domitien, mais qui, par ambition, prétend épouser Tite pensant devoir sacrifier son amour à sa gloire.
Le dénouement de tout cela vient de la grandeur de Bérénice. Bien que le sénat ait accepté l'idée de la voir épouser Tite pour les services qu'elle a rendus à l'Empire, elle se retire dans l'intérêt de son amant, persuadée que son mariage ne déclenchera que drames et complots. Et elle se résigne à l'exil.
Mais, une chose intéressante à noter, c'est la peinture que fait Corneille du tempérement de Tite. il nous le montre abattu par cet amour déçu, mais aussi, inquiet, tourmenté, déjà rongé par l'idée du temps qui mange incessamment la vie, bref ayant une sensibilité romantique avant la lettre. Aussi s'impose-t-il, lui, ce que j'appellerai un exil affectif. C'est à dire qu'il renonce à se remarier, et, pressentant que son frère accédera assez vite au pouvoir, il demande à Domitie de tenir à ses côtés le rôle de demi-impératrice, en attendant mieux...
La Bérénice de Racine est assurément une oeuvre dont la simplicité et la prosodie émerveillent et reposent du génie compliqué de Corneille.
Pour Racine, Bérénice est déjà à Rome, quand Titus accède au trône et doit, en principe, prendre femme.
L'originalité de Racine est, d'abord, de donner à Bérénice un amant, un roi ami et voisin de ses états. Antioches de Commagène, qui se déclare à elle, enfin, au grand désarroi de celle-ci; ensuite, de laisser dans l'ombre le clan familial de l'empereur. Aussi, assiste-t-on essentiellement au face à face amoureux entre Bérénice et Titus, même si nous avons à faire à une femme deux fois convoitée, par deux hommes, dont chacun souffre à sa manière.
La grandeur de Titus ici, vient de ce que l'emprise du père, son image et les devoirs qu'elle génère, s'imposent à lui et créent un douloureux débat intérieur. Mais la Bérénice de Racine a sans doute moins de noblesse que celle de Corneille. Elle se révolte contre l'ostracisme romain à son endroit, voire abdique sa dignité de reine au profit de la femme rongée d'amour. Aussi va-t-elle jusqu'à vouloir se suicider. Et ce n'est que, quand Titus lui propose de la suivre dans la mort, qu'ayant alors une preuve inconditionnelle de son amour, qu'elle se décide à partir, n'épousant pas pour autant Antiochus, et laissant Titus sans perspectives matrimoniales.
Thermes romains (photo malgbern)
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