lundi 24 octobre 2011



La mort de Jeanne

A peine le Roi a terminé avec son andante que, sur un sol mineur (6/8), le cortège funèbre apparaît, les soldats et leurs étendards précédant le corps de Jeanne.

On entend, bien évidemment, les lamentations du choeur, où Verdi a joint des sopranos aux voix masculines, le peuple en son entier est censé être représenté. Le Roi et le père s'exclament à la vue de Jeanne. Le choeur reprend. Ses volutes chromatiques annoncent le quator de Don Carlos. De sombres figures musicales planent, en effet, sur la palpitation grave des basses. Les propos du choeur tranchent avec les propos précédents de la foule en colère. Ils saluent l'ange paisiblement endormi, la lumière resplendissante descendue du Ciel et le parfum surnaturel émanant déjà du corps. A nouveau, les volutes de l'orchestre. Le père crie: Silence! Les chromatismes de l'orchestre reprennent, enrichis de sextolets, piqués sur les cordes, et le Roi et le père constatent qu'elle a poussé un léger gémissement, qu'elle a ouvert les yeux...

Le Roi dit qu'elle se relève (Oh! Miracle), que la mort est vaincue, et l'accompagnement, qui est allé crescendo, meurt peu à peu.

Jeanne, qui est maintenant relevée, se demande, a cappella, ce qui se passe et où elle est, et le Roi lui répond, toujours sans accompagnement, qu'elle est au milieu de ses guerriers, tout près de son père. Alors elle a ce cri, qui témoigne de son éternelle obsession, sur une ligne de chant plaintive: je ne suis pas une enchanteresse malveillante! Le Roi la rassure aussitôt, lui disant qu'elle est un ange et son père ajoute qu'il a été hélas aveugle la concernant. Finalement, elle avoue les reconnaître: son père, son Roi (ponctuation musicale), ses braves chevaliers. Elle reconnaît aussi le drapeau français; elle demande où est le sien, qu'en loyale messagère, elle veut emporter au Ciel. (légère colorature). Le Roi, qui maintenant comprend que la réaction de Jeanne à la mort n'est que passagère, s'écrie: Emporte-le... mais ne nous quitte pas! avec un frémissement vocal sur ces mots.

Alors, sur un mi bémol majeur et des arpèges de flûte, commence ce qui sera l'accompagnement de l'extase de Jeanne. Sur une colorature immense, surnaturelle, vu le peu de force qui lui reste, elle clame: Ma bannière! et entame, tout aussitôt, son chant de mort et d'assomption céleste. Les propos sont d'une femme située dans l'entre-deux de la terre et du ciel. Elle dit que les Cieux s'entrouvent, que la Vierge descend, que cette dernière est la même que celle qui avait l'habitude de lui parler sur son rocher, et qu'elle lui sourit, qu'elle lui montre le chemin (inflexions touchantes de la voix), qu'elle semble même lui faire signe d'approcher et, sur une réapparition de la clarinette, instrument qui a représenté Jeanne jusque-là, son duo avec l'instrument conduisant à un si bémol aigu, elle ajoute que la Vierge veut qu'elle la rejoigne.

Le Roi et le père se relaient ici, en mineur, sur des modulations qui leur étaient peut-être étrangères, mais qui tentent de traduire leur tendresse. le père demande à Jeanne de poser sa main sur ses cheveux blancs, le Roi la supplie de ne pas les quitter et de vivre pour la France et son Roi. Enfin, le père ajoute ne pas vouloir pleurer, mais, plein d'une grande lassitude, vouloir mourir au plus tôt. Les voix des deux hommes les plus chers à Jeanne se rejoignent dans un duo.

La clarinette solo reprend, puis le chant de Jeanne, sur le mi bémol majeur. Sa voix s'élève sur les basses des cordes. Une intense et joyeuse sérénité de tout son être récompense tout son travail accompli, toutes ses épreuves dépassées. Elle voit, dit-elle, un nuage l'emporter, son armure se transformer en ailes et, de l'altitude où elle est déjà, elle dit adieu à la terre et à la gloire mortelle, adieu, dont le chant ardent et frémissant, rappelle les plus grands moments de l'opéra; puis dit enfin s'élever dans les cieux et resplendir dans la lumière du soleil - avec de vibrants appuis vocaux.

Le choeur la salue à nouveau; le Roi regrette de ne pouvoir s'envoler avec elle; le choeur l'invite à rejoindre le bercail céleste, le Ciel ayant triomphé de tous. Un dernier duo avec la clarinette, sur deux mesures: elle rappelle que la Vierge lui a souri et qu'elle lui montre le chemin. A partir d'ici, le choeur, auquel le Roi se joint, ne cesse d'être présent. La voix de Jeanne domine. Elle renouvelle son adieu à la terre et célèbre encore son enlèvement dans les airs et son resplendissement dans le soleil; puis ses vocalises soutenant ses derniers mots, elle s'affaisse dans un ultime soupir, qui passe presque inaperçu, tant elle est déjà ailleurs - tandis que l'assemblée l'assure qu'elle survivra dans le coeur de tous les Français et que quatre mesures d'accord de mi bémol majeur concluent l'opéra.

COMMENTAIRE

L'assomption de Jeanne

La scène de la mort de Jeanne est solidement construite: marche funèbre, lamentation du choeur, réveil de conscience de Jeanne, retour de son obsession, reconnaissance des siens, désir de récupérer sa bannière; puis ses trois grands airs de départ, séparés par les réactions du Roi et du père et les hommages du choeur; enfin la mort après les dernières vocalises et les remerciements au nom de la France...

Au total, un passage lyrique d'une grande émotion, où les trois airs de Jeanne créent un courant musical qui va crescendo, digne des plus grands final d'opéra.

La scène équivalente chez Schiller recèle peut-être moins d'émotion, car il faut convenir, qu'en pareil domaine, la musique est irremplaçable.

Certes, les plus grandes idées viennent ici de Schiller: le Roi délivré par Jeanne; Jeanne mourant au milieu des siens, plongés dans le désarroi; revenant à elle avec le cri de son onsession: non, je ne suis pas une sorcière!, reconnaissant ensuite les siens, exigeant sa bannière, et, pour finir, ayant la vision de la Vierge qui l'attire à elle. Mais les différences sont grandes aussi. Ainsi, chez Schiller, le Roi n'est pas amoureux de Jeanne, ni Jeanne de lui (ses amours à elle sont ailleurs) et le père ne vient pas à résipiscence et n'a pas l'occasion de délivrer sa fille de ses liens (c'est elle qui se délivre par la prière). Avec le Roi et le père, chez Solera, il en résulte par cette scène, un surplus d'émotion: Jeanne est avec les deux hommes qu'elle a aimés le plus au monde. Ce qui, ajouté à l'effet produit par la musique, porte à un comble l'impact de ce passage sur le public.

Mais Schiller a su trouver, pour cette assomption céleste de Jeanne, un mot de la fin, qu'on aurait bien aimé retrouver sous la plume de Solera. Comme l'héroïne monte, monte, cependant que la terre recule, elle expire en disant: "Courte est la douleur, éternelle est la joie."

Ce qui nous retient, à présent, dans cette mort de Jeanne, c'est son esprit. Jeanne, en s'élevant, ne perd pas son identité. Celle-ci, au contraire, se trouve glorifiée et pérennisée, conformément au dogme chrétien. Le grand exemple de glorification post-mortem se trouve chez Dante, où les élus contemplent, pour l'éternité, Dieu qui les exhausse à la perfection et à son contentement. Cette contemplation et cependant remise en cause par Goethe. Chez lui, l'âme de Faust monte au Ciel; mais avec cette nuance que, montant toujours, elle se purifie à mesure en passant d'un cercle à l'autre. Mais l'exemple le plus antinomique de la mort de Jeanne, est, sans nul doute, la mort d'Isolde, chez Wagner. Il y a, chez Wagner, désintégration totale de l'identité terrestre. Isolde, en effet, a découvert l'amour (même coupable) une réalité étrangère à celle qui nous retient prisonnier de l'espace, du temps et de la séparation des consciences individuelles. Aussi sa mort (accompagnée de celle de Tri height="295">stan) est-elle une mort libératrice. Elle atteint progressivement, par dissolution, à la plus parfaite impersonnalité, et ce et qui unit les amants (Tristan et Isolde), et qui n'est à proprement parler ni l'un ni l'autre. Aussi est-ce à une évanescence progressive d'Isolde que nous asssistons avec la musique, évanescence qui conduit à ce rien, qui est peut-être l'autre face du Tout infini.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire