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. La Pucelle d'Orléans de Schiller
Remarque préliminaire
Après l'oeuvre manquée de Jean Chapelain, après l'oeuvre provocatrice de Voltaire, on a le sentiment que la Pucelle d'Orléans de Schiller remplit une sorte de vide, relativement aux créations littéraires qu'est en droit de susciter la bergère de Domrémy. Avec cette pièce, il semble qu'un espace littéraire est décidément mis en place, que le chemin des interprétations, désormais, est ouvert, échappant à la fermeture que représente une esthétique, soit de grandiloquence, soit de dérision. L'oeuvre de Schiller, elle, est classique et son effet assuré.
En vers bien frappés, elle comporte un grand prologue et cinq actes.
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.La Jeanne historique et la Jeanne de Schiller
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L'imagination de Schiller a modifié le personnage historique de Jeanne. La Jeanne de Schiller a toute une famille bien identifiée: des soeurs, des futurs beaux-frères, un fiancé, mais surtout un père très spécial, qui veut la marier pour la faire entrer dans la norme et qui, croyant pointilleux, va jouer un rôle déterminant dans la geste de sa fille, être l'anti-Jeanne en quelque sorte et contribuer à créer le drame.
La Jeanne de Schiller, ensuite, est déterminée à l'action, non seulement par ses voix et par ses visions, que Schiller repense à sa façon, mais encore par un ensemble de circonstances décisives: la Gitane du marché de Domrémy, le casque que celle-ci vend à Bertrand et qui se retrouve bientôt entre les mains de Jeanne. Elle part, enfin, non pas après avoir sollicité et convaincu le sire de Baudricourt, mais en se joignant à lui, décidé qu'il est à rejoindre le clan de Chinon. Quand elle arrive dans cette ville, elle a déjà combattu les Anglais auprès de Baudricourt, remporté une victoire, et c'est entourée d'admiration et pleine d'autorité et de confiance en elle, qu'elle se présente à la Cour, où on l'attend comme un phénomène et où, comme la Jeanne historique, elle reconnaît le roi d'emblée.
Ses échanges à la Cour sont d'une femme supérieure, qui non seulement stimule les personnes mais presque les domine - jusqu'à l'archevêque. La Jeanne de Schiller n'est pas une Jeanne timide, mais une raisonneuse, patriote convaincue, emplie d'un message politique tiré de son patriotisme passionné. Du coup, cette analphabète fait presque figure de femme d'esprit.
Comme Schiller la peint d'une extrême beauté, elle déclenche la passion des deux grands capitaines de Charles, qui se retrouvent rivaux à cause d'elle.
Contrairement à la Jeanne historique encore, elle dit prendre plaisir à abattre les Anglais en tant qu'ennemis de la France. C'est là son côté walkyrie. Mais elle n'est pas pour autant insensible. Elle fait la différence entre son coeur, ému par exemple de la mort du jeune Montgomery qui l'a implorée en vain au nom de sa famille et de sa fiancée, et l'Esprit qui l'anime, parle à travers elle et soulève seul le glaive. On a compris que cet Esprit est un amalgame schillérien entre une composition chrétienne de l'histoire et une conception plus philosophique - préfaçant une idée déjà hégélienne.
Là où la Jeanne de Schiller est encore très éloignée de la Jeanne historique, c'est dans le rôle diplomatique qu'elle joue, touchant la querelle opposant les Bourguignons aux Français et aux Armagnacs. Elle a l'énergie qu'il faut pour arrêter le duel des frères ennemis, se défendre devant Philippe de toute souillure de sorcellerie et finalement le ramener dans le camp français. Son adresse politique va même si loin qu'après le traité unissant désormais Philippe et le roi, elle parvient encore à le réconcilier avec Duchâtel, inspirateur de la mort de son père.
Mais la plus grande différence entre les deux Jeanne, est que celle de Schiller tombe amoureuse, bien qu'elle sache la réussite de sa mission liée à sa pureté de femme. L'imagination de Schiller est allée si loin qu'elle tombe, de plus, amoureuse d'un Anglais. D'où une crise de conscience étrangère à la Jeanne historique et l'acceptation de l'épreuve que lui inflige publiquement son père: sa relégation, son errance, et une crise conclusive de mysticisme, à l'issue de laquelle elle gagne des pouvoirs surnaturels. Ce qui lui vaut de sauver l'armée française et le roi et de mourir glorieuse au milieu des siens.
Ainsi, avec la Jeanne de Schiller, il y a , après le sacre, une campagne flamboyante des Ardennes, la reddition d'Isabeau de Bavière, la mort ou la capture des grands capitaines anglais; mais il n'y a pas de siège de Compiègne, de vente de Jeanne à l'ennemi par les Bourguignons (et pour cause, ceux-ci se sont ralliés à Charles VII) ni, conséquemment, de procès de Rouen.
Au total, la Jeanne de Schiller, malgré la complexité du personnage, incarne, à sa façon, le même idéal que sa devancière historique. Elle est, pour le professeur d'histoire de Leipzig, qu'est notre poète-dramaturge, l'incarnation d'une Idée: celle d'un patriotisme, se présentant alors comme un nationalisme qui s'avère, à cette époque, être le fer de lance du progrès.
Le sacre de Charles VII
(photo malgbern)
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