Jeanne dans l'oeuvre de Schiller
Schiller est éminemment sympathique par cette volonté de mener à bien le projet de changer le monde et les hommes. Il n'y a rien de plus pathétique que cette Théophanie, amorcée dans sa jeunesse, où il tente de concilier des principes toujours en discorde: Dieu et la nature, l'esprit et la matière, toujours condamnés à la "domination tyrannique de l'un sur l'autre", et rien de plus exaltant que cette réflexion sur le Beau, influencé qu'il est alors par la rencontre de Goethe et la lecture de Kant, où il développe cettte idée que l'art fait étonnamment le lien entre le sensible et l'esprit, disons: entre l'imagination et l'entendement. L'art idéalise le sensible et sensibilise l'esprit, provoquant ainsi le mariage du réel et de l'idéal. Mais cet alchimiste qui ne remue pas des cornues, lui, pour chercher des alliages de métaux, a fait tout de suite du drame son champ d'action. Ainsi, sa première oeuvre, Les Brigands, s'en prend à l'ordre établi et peint Karl Moor, un révolté privé de l'affection de son père par un frère cruel, mais impuissant, au bout du compte, à cause de son entourage, à rédimer le monde social, délétère selon lui; aussi impuissant que l'Hypérion d'Hölderlin l'est à libérer la Grèce. Ce qui nous émeut, c'est que cette première oeuvre connote en plusieurs points cette Pucelle d'Orléans qu'il écrira en 1801.
Après Les Brigands, ce sera La Conjuration de Fiesque, où il s'en prend à la tyrannie du Doge de Venise, Andrea Doria; puis Intrigue et amour ( appelé encore Luise Millerin), où il dénonce une aristocratie corrompue par les plaisirs, les honneurs et l'ambition, et voit, en regard, dans la bourgeoisie montante, réceptacle de toutes les vertus (honnêteté, sentiment du devoir, altruisme congénital, respect de l'individu) le grain de sénevé de la future humanité, que ni argent ni pouvoir ne corrompent et qui prépare le règne de la justice et de la liberté. Ensuite vient Don Carlos, où le marquis de Posa et le représentant le plus parfait de la sagesse de l'auteur. Lucide, intransigeant, disciple de Rousseau avant la lettre, adepte aussi avant la lettre de la franc-maçonnerie de Lessing, Posa imagine un état libéral, respectueux de l'individu, dont le despotisme espagnol n'est que la caricature et dont seul l'esprit protestant est le garant. Enfin comme Schiller s'accroche à toutes les branches pour mener à bien sa mission, il écrit, influencé par Goethe et par Kant, son poème Les Artistes, où il voit ces derniers jouer le rôle de phares dans l'humanité et réussir là où échouent en partie les savants, les philosophes, les moralistes - car l'amour du Beau est encore ce qui a la première place dans le coeur des hommes. Désintéressé, libéré de toute préoccupation d'ordre pratique, le Beau porte donc sur la forme des objets, sur leur représentation, et non sur leur matière; et, l'entendement ordonnant les données de l'imagination en un tout harmonieux, il voit, de plus, dans le Beau, l'expression de l'autonomie insulaire de l'objet et donc, la marque de sa liberté et de sa justesse, Hegel, dans son Esthétique, dit, lui, que le désir "dévore l'objet", le détruit, alors que l'oeuvre d'art le rend à sa liberté. Ce faisant, le Beau, en liant les contraires: matière et esprit, imagination et entendement, tend à réduire la déchirure inhérente à l'homme, comme s'il retrouvait par là quelque unité primordiale...
Mais Schiller, au sortir de ses études historiques et esthétiques, ne peut faire qu'il ne revienne au drame. Et, après Wallestein, où le condottiere n'arrive pas hélas à imposer, par suite de ses indécisions, un nouvel ordre des choses en place de la politique hégémonique et conservatrice de l'Autriche, voilà l'admirable Marie Stuart, où l'héroïne, au milieu de ses déboires, atteint à une grandeur touchante, qui est la marque d'une liberté intérieure acquise. Et voilà après La Pucelle d'Orléans.
Le problème qui hante Schiller, historien et dramaturge, est toujours de savoir ce que signifie le mot liberté en histoire. Appliqué à cerner les forces collectives menant les peuples, il s'interroge sur le rôle des grands politiques, des grands capitaines et des grands penseurs. Il se demande s'ils sont une émanation de ces forces ou s'ils créent par eux-mêmes le destin des sociétés.
Pour Jeanne, en tout cas, avec qui nous sommes à présent, elle est assurément un personnage schillérien très riche. Comme Karl Moor, elle est séparée de son père dans sa mission, et, du coup, rencontre des difficultés avec son entourage. Comme Fiesque, elle a une tyrannie à combattre: celle des Anglais. Comme Luise Millerin, une simple bourgeoise aimée du fils du puissant président Walter, elle est aimée, elle, simple bergère, par les plus grands capitaines. Comme le marquis de Posa, exposant sa politique au Dauphin d'Espagne, elle expose, elle, à la Cour de France un idéal de responsabilité et d'amour; et, ce faisant, comme lui, elle est en avance sur son temps: elle est déjà par là une fille des Lumières (sagesse qui ne l'empêche pas d'éprouver les passions des héros du Sturm und Drang). Par contre, à l'inverse de Wallenstein, elle réussit où il échoue, n'ayant pas ses indécisions. Enfin, comme Marie Stuart, elle accède, au milieu des épreuves, et avec l'aide de sa foi, au détachement et à une véritable joie intérieure - la marque de sa liberté à elle, après avoir redonné la leur aux Français.
Il restera à Schiller à écrire entre autres La fiancée de Messine et le célèbre Guillaume Tell.
Bibliographie: Les auteurs romantiques http://www.jose-corti.fr/auteursromantiques/schiller.html
Votre blog "Parlons d'opéras" est très intéressant. J'y apprends beaucoup, je vous lis régulièrement. J'apprécie ses informations. j'avoue que je ne connais pas Jeanne d'Arc de Vrdi, mais vous m'avez donnée l'envie de chercher un enregistrement de cette oeuvre. Pourriez-vous enrichir vos articles d'une discographie. Merci et félicitations.
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