lundi 24 octobre 2011



Les amants de la Guerre de Cent Ans

Schiller, avec toute son imagination, n'est pas allé si loin que Solera dans la peinture d'une Jeanne amoureuse. Chez Schiller, Jeanne est montrée tombant sous le joug de l'amour, mais assumant davantage le poids de sa faute. Certes, Schiller a cette belle audace de lui faire aimer un Anglais, mais Solera a cette autre, de lui faire aimer, ni plus ni moins, le roi de France. Chez les deux auteurs, il lui est en tout cas donné de susciter, du fait de sa beauté et de sa personnalité, des amours violentes. Mais l'originalité de la scène, vu les interdits religieux auxquels Jeanne est soumise pour réussir sa mission (rester pure et chaste), est qu'elle vit un amour dissymétrique. D'une part, Charles, qui ignore, lui, ces interdits faits à Jeanne, et qui, en toute inconscience donc, en toute innocence, aime et désire celle qui l'a sauvé de lui-même: de sa torpeur, de son complexe d'infériorité, qui lui a redonné un trône - et ne voit en cela rien qui puisse avoir de rapport avec le diable, d'autant que la Vierge est à l'origine de leur rencontre. D'autre part, Jeanne, qui est acquise au départ à l'idée d'une mission soumise à l'exigence de sa pureté et de sa chasteté, mais qui, ayant fini par faillir pour le Roi, se rend compte qu'elle est devenue fautive. D'où un dialogue amoureux particulier: lui, aimant dans la joie et la beauté des sentiments découverts; elle, dans la pleine culpabilité - au point de regretter de n'avoir pas succombé sur le champ de bataille.

Le Roi atteint même les limites extrêmes des grands amants. Encore que des tâches historiques lui soient dévolues, il découvre que rien n'est supérieur à son amour, jusqu'à accepter avec Jeanne une union d'âmes ou a offrir sa poitrine à l'épée de cette dernière. Le Roi tient du Tristan amoureux de Wagner.

Jeanne, elle, vit son amour différemment. Déjà, sa culpabilité est immense avant l'arrivée du Dauphin: elle n'aspire qu'à rentrer chez elle, à retrouver l'innocence de sa vie pastorale, et ravive en elle l'image menaçante du père, devenue l'image du juste châtiment. Mais, maintenant, le Dauphin est à ses côtés; plus il se rapproche d'elle, plus il lui découvre les arcanes du sentiment amoureux, plus elle est agitée, plus elle ressent la violence et la souffrance de l'arrachement auquel elle est tenue. Le pathétique est, ici, qu'au fort de ce conflit, elle finit un moment par capituler, annihilant dans un instant tous ses efforts! Mais le tragique de la situation réapparaît avec les voix du ciel à nouveau là et la mettant en garde. Alors, s'exaspèrent son combat et sa culpabilité (elle se sent maudite) jusqu'à une accalmie: celle de devoir assumer le sacre, Delil étant venu l'annoncer et le Roi se faisant directif à son égard. Mais, avec les appels implorants de monarque : Vieni al tempo, et ses déclarations à nouveau enflammée, sa culpabilité lui faisant proférer à présent le regret de n'être pas morte en combattant, et en tout cas, son désir de vouloir finir sa vie en pénitente. Quand éclate le second choeur, mais de Satan, celui-là. C'en est trop. Son esprit chavire dans l'assurance, maintenant définitive, qu'elle est maudite. Ce crescendo de l'idée est admirable et l'effet incontestable.

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