mardi 11 septembre 2012

Liszt et sa fille Cosima*

Le journal abondant de Cosima reproduit, mesure après mesure, le déroulement de la composition plus complexe que celui des oeuvres précédentes. Il se poursuit durant des mois sur fond d'envois par Judith Gautier de rimmels, de parfums et de tissus parisiens et est interrompu par les visites d'amis: Joseph Rubinstein, Liszt, Malwida et des écrits divers: des essais, des articles pour les Feuilles de Bayreuth. Les lettres, ouverte ou non, dénoncent pêle-mêle et selon les idées de Wagner, le vasselage de l'argent, la dégénérescence du peuple, l'influence nocive du judaïsme, les excès du sensualisme, le mauvais régime nutritif des peuples civilisés, les vices des ecclésiastiques et la religion, le pangermanisme de Bismark, son credo de caserne, sa guerre insistante contre la France, la vivisection... (Ne trouve-t-on pas dans Parsifal un écho de l'amour profond de Wagner pour les animaux?)
Mais déçu par les représentations de l'Anneau, il craint celles de Parsifal: après avoir créé l'orchestre invisible, il souhaite le théâtre invisible et, avec à peine une pointe d'humour, un orchestre inaudible!

L'instrumentation reste à faire. Le climat de Bayreuth, avec ses sacs de pommes de terre, dans le ciel ne convenant pas à sa santé déjà chancelante, il songe à Naples. Toujours le mal de l'Italie sera le mal des belles âmes écrit Liszt. Wagner s'installe dans une villa d'Angri près du Pausillipe*. Son escalier donne sur une terrasse ornée d'une multitude de roses. Le compositeur a trouvé là le décor pour le jardin de Klingsor. Mais Naples au climat brûlant ne lui convient pas et il remonte vers Sienne. Là, il trouve les paysages de son mal physique et de son esprit surmené: la douceur et l'immatérialité des formes.

La cathédrale**, ses damiers noirs et blancs, ses rangées de papes, sa croisée de transepts l'exaltent. Il fait dresser le plan de la coupole par le peintre Joukowsky devenu, depuis Naples, un familier, pour en tirer la mise en scène de la salle des chevaliers...




L'idée de son opéra le tient à nouveau. Après une visite à Liszt (et avoir chanté, debout, accompagné par son célèbre beau-père assis au piano, tout le troisième acte de Parsifal) Il écrit à Louis II de Bavière* pour lui demander un dernier appui pour monter l'ouvrage et précise que ce Mystère sacré ne peut être joué qu'à Bayreuth et il ajoute : et non sur une scène quelconque, souillée par la musique d'Offenbach!

Louis II accepte d'offrir les choeurs et l'orchestre et attend Wagner à Munich. Ce dernier est peut-être le seul homme au monde pour lequel ce roi ait vraiment souffert et il présente déjà des signes de fuite dans le rêve qui le coupera de l'humanité vulgaire. Wagner est à ses côtés dans la loge, Louis II se fait donner une représentation privée de Lohengrin, la famille du compositeur se tenant cachée dans une baignoire. Deux jours après, le roi veut entendre le prélude de Parsifal. Wagner est nerveux, il a attendu le souverain un bon quart d'heure, il dirige lui-même. Sa majesté veut écouter de nouveau le prélude. Wagner passe la baguette à Lévi, quitte le théâtre en proie à une colère folle et peste contre tous les rois et empereurs de la terre et contre Bismarck...

Quittant Bayreuth pour Bayreuth, Wagner entame vraiment l'instrumentation. Enfin, les répétitions prévues se déroulent puis s'achèvent alors que le compositeur est toujours plus malade: il confie les affaires du "Théâtre" à Feustel et à son gendre et repart pour l'Italie. il a choisi Palerme* cette fois.



Là, tout l'exalte: le soleil, les rues, les jardins, les singes de la terrasse... Il travaille, travaille. Joukowski le rejoint à la Noël. Et le treize janvier 1882, pendant le repas du soir, Wagner se lève, rejoint son bureau, en rapporte un paquet important: c'est la partition achevée! On débouche le champagne. Le maître qui sent qu'il a écrit là son dernier opéra, joue symboliquement l'ouvertures des "Fées", son premier ouvrage. La mort peut venir à présent.


                                 





Les représentations vont avoir lieu. Passées les inévitables déconvenues: les soucis administratif, les querelles d'artistes, serait-ce la joie? Hélas! le roi ne vient pas. Il décidément coupé les ponts. En revanche Judith Gautier, Liszt, le Comte Gravina ( qui épousera une fille de Cosima), Chausson, Léo Delibes, Vincent d'Indy, Saint-Saens sont présents.
Wagner, au cours de la "première", applaudit en plein acte les Filles-Fleurs (Il tombera d'ailleurs amoureux de l'une d'elles); puis, se présentant sur scène à la fin de l'Acte II, demande qu'on n'applaudisse pas pour éviter de rompre l'émotion. plus royaliste que lui, le public finira par ne plus applaudir du tout...
Lors de la seizième et ultime représentation, il tombe sur le pays une pluie glaciale. Lévi, le chef d'orchestre a un refroidissement. Il est mal. Alors Wagner se saisit de la baguette et dirige le dernier acte de cette "dernière".

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