mardi 22 janvier 2013

Der Fliegende Holländer: composition

La composition du livret et de la musique: Meudon

Les Wagner sont quasiment affamés. Et c'est sur ce fond de privation, de déplacement à pied à Paris et de cueillettes forcenées de champignons dans les bois de Meudon, qu'à lieu la rédaction du livret et la composition musicale.
Le texte versifié, le piano arrive. Wagner demeure tout un jour sans y toucher. Il souffre d'être incessamment porté à l'imitation. A-t-il vraiment une personnalité artistique? Il se met au travail et l'incroyable se produit. Il sent qu'il n'a jamais composé ainsi. Il est fou de joie.
En sept semaines, du 11 juillet au 22 août, il réalise l'orchestration. La partition complète finalement a demandé quatre mois. Et le manuscrit original (qui sera offert à Louis II en décembre 1864) porte cette mention "Fin. Richard Wagner, Meudon, 22 août 1841, dans le péril et les soucis!".
Quant à l'ouverture, elle reste à composer. Les Wagner sont épuisés. Après la faim, le froid. Les murs de leur maison suintent l'humidité. Ils sont contraints de regagner Paris et emménagent rue Jacob.
C'est là que l'ouverture est composée, en novembre. Elle inaugure ce qui sera la formule de Wagner: elle se veut à la fois annonciatrice et récapitulative. Aussi comporte-t-elle quelques thèmes de l'ouvrage: celui de la tempête, de la Ballade de Senta, du Hollandais du premier acte et une allusion au Chœur des matelots du troisième acte. Et, de même qu'une mention a mis un point final à la partition, de même une mention met un point final à l'Ouverture: Per aspera ad astre -Dieu le veuille!

Originalité du texte et de la musique 

Wagner, avant le Vaisseau Fantôme, a donc écrit trois opéras (sa tentative numéro un "Les Noces" étant restée à l'état de texte.)
Le premier, "les Fées", (1) inspiré de Carlo Gozzi et composé à Würtzbourg en 1833 nous montre Arindal, après bien des aventures, séparé d'Ada, la fée qu'il aime, par les obligations du pouvoir. Celle-ci est aux enfers, transformée en pierre. Mais Arindal, dépris du pouvoir, ramené invinciblement à l'amour et aidé d'un bouclier, d'une épée et d'une lyre que lui a confiés un magicien, finit par vaincre tous les esprits infernaux et tous les hommes d'airain, par atteindre la pierre et lui redonner, par l'effet des cordes et du chant, le visage de la fée. Touché, le roi des fées se présente au milieu d'une lueur aveuglante et rend Arindal digne d'accéder à l'immortalité et d'accéder à l'immortalité et de partager l'amour de sa fille. On voit ici, poindre le Wagner de la maturité: le goût du merveilleux, celui des objets magiques, poindre le thème de l'amour transfigurateur -et peut-être celui du conflit entre la puissance et l'amour. Certains évoquent déjà le tressaillement en sa nuit du cycle de l' Anneau. Hélas le texte est banal, redondant, superficiel. La musique sacrifie aux sortilèges du temps, même si Wagner a les yeux tournés vers Beethoven.
(1) http://www.youtube.com/watch?v=IA5YxvPQvBk,
Le deuxième "Défense d'aimer", inspiré de "Mesure pour mesure" de Shakespeare et achevé à Magdebourg de 1836, est l'oeuvre d'un étudiant émancipé qui chante l'amour charnel à la barbe des bigots et des hypocrites. Mais Wagner a beau faire: il émousse la crudité de Shakespeare sans en saisir la puissance. Est-ce déjà l'élan impétueux de Tannhaüser vers Vénus?

Quant au troisième "Rienzi" inspiré du roman d'Edward Buhver-Lytton(1) et achevé en 1841 à Meudon. Il se situe à Rome.
 (1) http://fr.wikipedia.org/wiki/Edward_Bulwer-Lytton
Wagner, qui rêve toujours de théâtre shakespearien, s'essaie à un opéra historique. C'est une oeuvre immense., avec un déploiement de fanfares, une exaltation héroïque et une pointe révolutionnaire, puisque héros, Rienzi, soutient la cause du peuple contre les nobles. Sans doute l'œuvre annonce musicalement une évolution. Mais elle reste faite de scènes ampoulées et juxtaposées, aux personnages artificiels. La musique conserve toujours des accents Meyerbéeriens. Or Meyerbeer est l'artiste dont Wagner voudra s'éloigner le plus. Pour reprendre une expression de Malraux, il faut des années avant de trouver son propre ton.
Mais voilà qu'avec le livret du " Vaisseau Fantôme" le miracle se produisit. Wagner, d'abord, est retenu par un texte simple qui lui sert de source: le texte de Heine. Ce texte, ensuite, il l'a comme intériorisé avec l'aventure norvégienne. Enfin, à la faveur d'une longue maturation, l'a transformé en un synopsis d'opéra par des apports personnels. Tout a commencé sur ce plan, avec les ébauches autobiographiques confiées à Heinrich Laube, incluant le récit de sa navigation en Mer Baltique, continué avec les différents canevas et  abouti à ce synopsis écrit en dix jours du 18 au 28 mai 1841.
Ainsi Wagner comprend qu'il doit ajouter un épisode à l'histoire du Hollandais pour la rendre plus dramatique. Il invente le personnage du fiancé officiel de Catherine, lequel sème désormais le doute dans l'esprit du Hollandais qui s'enfuit alors victime d'un mal entendu. Puis avec le temps, Donald, père de Catherine, devient Daland. Georg, le fiancé, devient Erik et Catherine elle-même devient Senta. (sans doute est-ce là un souvenir du mot "tjenta" que Wagner a entendu incessamment sur la côte norvégienne et qui selon Martin Gregor-Dellin (Wagner, sa vie, son œuvre, son siècle. 1991 Ed Fayard collection "les Indispensables de la Musique") signifierait "servante". De ce moment, le personnage existe tout à fait. Wagner n'écrit-il pas dans une "Communication à mes amis" en 1851: Ce n'est plus la Pénélope veillant sur le sol natal, l'épouse de longue date, c'est la femme en général, mais la femme encore inexistante, désirée, confusément pressentie, la femme infiniment féminine, en un mot: la femme d'avenir.
Martin_Gregor-Dellin

Une chose demeure cependant, qui sera transformée par la suite: tout se passe encore sur les côtes écossaises. 
On le voit: grâce au texte dépouillé de Heine, servant de modèle, ce qui est alambiqué, enchevêtré et juxtaposé dans "Les Fées", dans "Défense d'aimer", dans "Rienzi", se trouve dans le "Vaisseau Fantôme" converti en qualités contraires (Voir Léon Emery "Wagner, poète mage", les Cahiers libres, Lyon 1958.)
 La versification achevée, tout est encore plus évident: malgré un reste de rhétorique, le texte maintenant, se resserre, se colore, acquiert une puissance chaleureuse. Comme il évite le piège de sombrer en des incidents multiples, il se trouve réparti en quelques scènes convaincantes et sobres aux éclairages violemment contrastés. De plus, l'œuvre n'est plus un simple divertissement mais répond à un mouvement profond de l'auteur qui s'identifie à ses personnages.
Avec la rédaction de ce texte et sa réussite, sont plus ou moins confusément mises au point deux idées que Wagner ne cessera d'approfondir en ses essais. La première: que son inspiration a besoin du mythe ou de la légende, la seconde: que la poésie est toujours première et détermine la musique. 

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