samedi 27 avril 2013

A propos de Jacques Junca par François Vicaire, Théâtre en Normandie

. Carmen


(photo malgbern)

Jacques Junca


L'art de la synthèse initiatique.


Ses premières émotions lyriques, Jacques Junca les a ressenties vers l'âge de 12 ans quand il vit dans les arènes de Nogaro une "Carmen"qui resta gravée à plus d'un titre dans sa mémoire de futur mélomane. L'arrivée de l'opéra dans cette petite ville du Gers était déjà en soi un événement mais surtout la "Carmen" n'était autre que Jane Rhodes alors au faîte de sa renommée. De plus, celle qui l'après-midi allait être la sulfureuse héroïne de Bizet assistait le matin même à la messe dominicale. Il n'en fallait pas plus pour troubler un jeune garçon rêveur et déjà romantique qui vit là comme un signe de ce destin qui le conduirait à approfondir la mystique wagnérienne.
Et, comme pour lui donner raison, la fatalité s'abattit sur cette rencontre déterminante qui aurait pu être contrariée définitivement s'il n'y avait vu là un signe de ces dieux dont il fera sa compagnie habituelle.

En effet dans l'après-midi une pluie diluvienne vint interrompre la représentation et c'est d'une certaine manière noyée que "Carmen" termina sa carrière gersoise. Don José n'avait plus qu'à ranger sa navaja.
Un détail auquel le jeune garçon n'eut pas envie de s'arrêter. Il venait en effet de découvrir un nouveau monde, à la fois étonnamment accessible et assez mystérieux pour que plus tard il ait envie d'en décrypter les codes.


Jane Rhodes

Les hasards des rencontres et des études lui permirent d'aller plus avant dans la connaissance de l'opéra sans qu'il n'ait jamais pensé un instant lui consacrer plus de temps que ne lui faisait espérer son métier d'enseignant.
C'est à Rouen, où il fréquentait assiduement le Théâtre-cirque d'abord puis le Théâtre des Arts que le déclic se produira.
Et pas n'importe lequel puisqu'il s'agissait de la "Tétralogie" remontée pour la première fois depuis la guerre dans son intégralité. Ce fut un événement et pas seulement rouennais. C'est l'époque glorieuse où des cars parisiens venaient en matinée assister à des représentations qui sont restées célèbres. Rouen était un phare qui grâce à deux personnages d'exception qu'étaient André Cabourg et Paul Ethuin, rafflait régulièrement tous les ans la première place des théâtres municipaux de France.

La Tétralogie fut donc le signe par lequel Jacques Junca entrevit sa vie prendre un autre tour. Ses premiers frémissements wagnériens il les avait connus quand un maître d'application à l'Ecole Normale féru d'opéra l'avait emmené voir "Parsifal" à Bayreuth.
Pour une première leçon, c'était commencer en quelque sorte par la fin du cours, mais son mentor avait eu la sagesse de le prévenir: Laissez-vous porter par la musique, lui avait-il dit. "Il sera temps plus tard d'éplucher les choses".

Et c'est l'entreprise dans laquelle Jacques Junca va se lancer: "éplucher" Wagner pour rendre plus lisible ce véritable labyrinthe mythologique.

Il le fera en franc-tireur - et c'est un risque énorme qu'il prend tant la "clientèle" wagnérienne est extrêmement attentive à tout ce qui touche le compositeur et son oeuvre.

Théâtre en Normandie... II

... Autour de la Tétralogie.
.

Ce ne sera pas de la vulgarisation mais un beau travail d'initiation dramaturgique et musical.
Le résultat ne se fera pas attendre: ce sera un véritable succès. Sa brochure se vendra comme des petits pains - deux à trois mille - et il se trouvera ainsi soudainement condamné, si l'on peut dire à ne pas en rester là. Dans la foulée et s'étant entre temps penché sur l'histoire des religions nordiques, il remet son ouvrage à jour et mieux, le déglobalise en quelque sorte pour s'attacher plus en détail à chacune des étapes qui le constitue.

La fatalité, dans le bon sens du terme, voudra que le succès perdure et sa fidélité au maître de Bayreuth, dont il a disséqué toutes les oeuvres, s'émoussera quelque peu pour en venir presque naturellement à celles de Mozart, de Verdi, de Puccini, de Richard Strauss, de Rameau.

Son dernier travail est cette "Clémence de Titus" de Mozart présentée à Rouen et pour laquelle le professeur de Lettres est revenu à ces premières amours en s'engageant dans une brillante digression autour des notions de complot, de pouvoir et de clémence déployées chez Sénèque, Montaigne, Corneille, Racine et Métastase qui est à l'origine du livret et qu'il entreprend de faire connaître mieux.

Car, et c'est une des grandes qualités des brochures que réalise Jacques Junca que de proposer des analyses à la fois claires et denses, rigoureuses et foisonnantes, qui vont à l'essentiel tout en sachant emprunter des voies périphériques qui lui permettent d'explorer à fond les ressources que recelle une oeuvre, mais aussi de mieux comprendre les motivations parfois secrètes qui ont animé son compositeur.

François Vicaire

NdlR Depuis cet article du 29 avril 2008, Jacques Junca a publié "Giovanna d'Arco" une oeuvre où l'auteur dépasse l'étude de l'opéra de Verdi pour peindre l'importance des rapports père-fille dans cet opéra, nous rappeler quelle a été la Jeanne d'Arc historique et évoquer les oeuvres littéraires qui lui ont été consacrées.